Siro zanana
« Bann zanfan zordi pa assé gagn baté. » Cette phrase, on entend souvent les adultes la prononcer pour nous rappeler qu’à l’époque, les parents étaient bien plus sévères et n’hésitaient pas, à l’occasion, de nous donner enn rinsé.
Même s’il y avait bien des parents qui ne frappaient jamais leur enfant, beaucoup croyaient fermement dans la philosophie : Spare the rod, spoil the child.
Comme papa était au travail, c’était à maman qu’incombait la responsabilité de corriger l’enfant. Toutefois, avant de le punir physiquement, maman commençait par le gronder : « To pa pou aret fer mové ? »
Le terme fer mové était utilisé pour décrire toute une variété de méfaits incluant fer malélvé, dézobéir paran, pa ékouté kan paran dir kiksoz, fer boufon ar gran dimounn, rikané, al zwé pa fer devwar, pa vini tou déswit kan paran kriyé, réponn kan kozé, fronté, fer latet dir, pa fer louvraz, fer dézord, réponn wé dan plas wi, titway gran dimounn.
Parfois, pour embêter l’enfant, mais également en guise d’avertissement, la maman disait souvent : « Enn zanfan kan li pa gagn baté, so lékor dimandé. Li rodé sa baté-la. » Mais bien vite, les réprimandes cédaient place à des menaces : « Kontinié, to pou gagn to tamasa la », ou, plus agressives : « Taler mo pou rotinn twa mo pou gardé », ou encore : « Enn timama mo pou fer twa danse toupi. »
Ces phrases étaient accompagnées d’un regard menaçant, le fameux get gro lizié. Si cela ne suffisait pas à amener l’enfant à changer de comportement, la maman perdait patience. Elle attrapait alors ce qu’elle avait à portée de main – bross, savat, kwiyer ouswa ross –, et le lançait avec une étonnante précision. Certains enfants, voyant venir le projectile, se baissaient pour l’éviter, avant de détaler à toute vitesse. D’autres, moins chanceux, recevaient un coup au dos, sur le bras ou à la tête et devaient parfois être précipités à l’hôpital. Des années plus tard, à l’âge adulte, certains prennent un malin plaisir à montrer à leur maman leurs cicatrices, en leur balançant : « To rapel to ti avoy mwa kout bross to ti kas mo latet? »
Il est arrivé à tout enfant à l’époque entendre sa maman dire à haute voix, pour que ce soit entendu par tous : « Ayo, kan kikenn al Port-Louis, asté enn rotin bazar zot améné. Asté gro rotin lamem, pa tipti la. »
Effectivement, quelque temps après, le rotin bazar faisait son entrée à la maison, installé bien en évidence dans le salon. Lorsque l’enfant rezinbé kouma lagal 7 an, la maman lui disait : « To get sa rotin bazar-la, li konn kozé sa. Enn timama li pou kozé lor to lédo. »
Parfois, la maman le cachait et ne le sortait qu’au moment où l’enfant se comportait mal pour lui donner quelques coups au bras ou sur les jambes, provocant à la fois surprise, douleur et humiliation. Il arrivait qu’une tante ou une voisine encourage la maman en disant : « Donn li bien dan so ti lipié lamem. »
Afin de s’assurer que pareille situation ne se reproduise pas, certains enfants cherchaient où les parents cachaient le rotin pour s’en débarrasser, soit en le lançant sur le toit de la maison, soit en le jetant dans les latrines. En l’absence du rotin bazar, la maman utilisait alors d’autres « armes » comme le baton mop, kanndi douri, belna, poukni ou kouvertir deksi. Des fois, on demandait aux enfants de chercher eux-mêmes un rotin avec lequel ils voulaient être punis. Une torture mentale que certains enfants essayaient néanmoins de négocier avec ruse en testant sur eux-mêmes le baton bambou ou le rotin avec lequel ils auraient le moins mal, avant de l’apporter au parent.
Finalement, lorsqu’une situation devenait incontrôlable, la maman disait : « Tanto kan to papa vini, to pou koné. Tanto to siro zanana. »
De peur, l’enfant allait parfois se coucher de bonne heure avant l’arrivée du papa. La plupart du temps, le papa n’intervenait pas et laissait la maman gérer les crises. Il se contentait par exemple de crier, pour empêcher un enfant d’embêter son frère. Mais si on avait l’outrecuidance de bouder ou de regarder de travers lorsqu’on se faisait gronder, on prenait un cinglant : « Taler to gagn enn kalot to figir vir divan-deryer. »
Même si les papas ne frappaient pas souvent, lorsqu’ils le faisaient, c’était pour de bon. À un moment ou un autre, l’enfant commettait la grosse bêtise qui amenait à cela, par exemple, en se sauvant de l’école avec ses amis pou al zwé dan kanal, al nazé larivier, al kokin frwi kot vwazin, al fimé anba pon, ou, pour une fille, al marsé dan lari avek garson. Dans ces cas, la nouvelle était rapportée à la maison bien avant que l’enfant ne rentre, et ce dernier, voyait son papa l’attendre en chemin, prêt à lui donner enn ronflé.
D’autres fois, l’enfant ne rentrait pas à la maison jusqu’à fort tard, causant des soucis aux parents. On envoyait alors un frère ou une sœur le chercher, et ce dernier lui disait : « Al lakaz, mama pé rod twa. To pou gagn to makatia coco la. » Dans le pire des cas, c’est le papa ou la maman en personne qui venait chercher l’enfant et il se faisait corriger par des claques et des kotoks sur la tête tout au long du chemin : « To pa konn retourn lakaz ? Ki to al fer laba, péna manzé dan nou lakaz ? »
Des fois, c’était un voisin ou un proche qui venait fer enn rapor, poussant les parents à prendre action pou koriz zot fay batar. Parfois aussi, lorsque l’enfant se comportait mal lors d’une sortie en famille, ses parents lui glissaient alors : « Kontinié fer to mal élevé, to pou gagné kan ariv lakaz. »
Toutes ces situations se concluaient par une raclée dont l’enfant se souvenait longtemps après : « Enn fwa mo ti fer mo papa extra ankoler… »
L’enfant était puni le plus souvent avec la boucle de ceinture du papa, avec des gifles, à l’aide d’un lans l’arrosoir, dibwa goyav ou même la pompe à vélo. Certains parents, pris d’une rage incontrôlable, frappaient l’enfant avec violence et ce dernier se sauvait et allait se cacher sous le lit, courait autour de la maison, ou même en chemin ; il restait dehors jusqu’à la tombée de la nuit, ce qui énervait encore plus le parent qui lui disait : « Vinn-la mo dir twa ! Si mo vinn sers twa to pou gagn plis baté. »
Il arrivait que la maman intervienne en disant : « Assé bat li, dir twa koriz li, pann dir twa touy li. » Ce à quoi le papa répondait : « Soutir li mem, to anvi to piti vinn malelvé. »
Pour mettre fin au supplice, certains enfants demandaient pardon, « mo pa pou fer ankor ». Beaucoup allaient dormir en larmes, sans dîner, certains s’en sortaient le corps couvert de bleus et fiévreux. Il y avait des cas extrêmes où le parent laissait l’enfant dehors à pleurer seul dans de la nuit, obligeant les voisins à intervenir.
Toutes les raclées ne se terminaient pas de façon aussi dramatique. Certaines fois, le papa avait des remords pour avoir fait souffrir son enfant, ou c’était ce dernier qui en avait d’avoir déçu son papa, et chacun de son côté changeait de comportement et redémarrait une relation basée sur le respect.
Les punitions laissent une trace indélébile dans la vie d’un enfant. Nombreux reprochent à leurs parents les fois où ils ont été punis alors qu’ils ne le méritaient pas, ou d’avoir eu une préférence pour leur frère ou leur sœur, le zanfan gâté qui n’était pas puni autant que les autres. Les parents, de leur côté, disent alors : « Selma twa to ti pli mésansté, to mem ti pé antrenn lézot », avant d’ajouter que leurs parents, à eux, étaient plus sévères et les punissaient en les mettant à genoux sur des graines de filao, sur des capsules, sur des nids de fourmis rouges ou avec une roche sur la tête.
Certains adultes disent que c’est grâce à ces corrections qu’ils sont devenus des individus disciplinés et respectueux ; d’autres, qui gardent un mauvais souvenir de leur enfance, sont devenus agressifs et antisociaux, ou connaissent des périodes de dépression toute leur vie.
Aujourd’hui, les experts préconisent la méthode alternative consistant à sanctionner l’enfant, au lieu de le frapper, et surtout à le responsabiliser. C’est, selon eux, la meilleure façon pou dress zenfan, donnant, du coup, au vieux rotin bazar une retraite méritée.